A l’invitation de No Grandi Navi, la lutte anti-croisières de Venise, active depuis 10 ans pour préserver sa lagune et désormais tout le reste des conséquences néfastes des croisières, Stop Croisières s’est rendu au Camp Climat de Venise, du 7 au 11 septembre 2022 sur l’île du Lido. Rejoints par la Plateforme contre les mégapaquebots de croisières de Palma de Majorque, nous avons échangé lors d’un atelier du camp destiné aux luttes anti-croisières en Europe, pour construire des bases solides à une nouvelle organisation que nous appelons de nos souhaits, ECAN : European Cruise Activist Network, le réseau anti-croisières européen. Notre manifeste est en cours d’écriture et sera prochainement partagé pour que le réseau puisse s’étendre à tous les ports concernés par l’impact des croisières.
Rapport de l’atelier
L’atelier « Présent et avenir des navires de croisière en Méditerranée » s’est tenu le 10 septembre dans le cadre du Camp climatique de Venise. Comitato No Grandi Navi de Venise, Stop Croiseres de Marseille, Plataforma contra el megacreuers de Palma, We are here Venice et Cittadini per l’Aria y ont participé. L’atelier a représenté un point de départ pour la création d’un réseau européen de comités contre les grands navires : European Cruise Activist Network (ECAN), avec un accent particulier sur la zone méditerranéenne.
Le premier à prendre la parole a été le Comitato No Grandi Navi, qui a raconté son histoire, de la première manifestation à laquelle 30 personnes ont participé, à l’évolution vers un mouvement de 10 000 personnes qui a conduit à un changement historique dans la ville. Une transformation radicale, qui a permis de passer de 16/18 navires passant par la ville chaque week-end à 2 par semaine à Marghera. Ce n’est pas la solution, mais un grand pas en avant par rapport à avant, un pas réalisé grâce à l’union des citoyens, grâce à la lutte d’en bas de ceux qui vivent et aiment Venise. Une lutte pas facile, menée avec la conscience de n’avoir aucun allié dans toutes les municipalités qui n’ont jamais apporté de réel changement, contrairement aux nombreuses personnes qui ont protesté, dans les calli et sur les petits bateaux. L’intelligence et la force du comité est donc d’avoir su faire cohabiter des idées différentes sur les solutions à adopter, avec une discussion continue qui a trouvé dans le message « Faites sortir les bateaux de la lagune » son plus petit dénominateur commun. Un passage est également consacré à l’action : « Nous pensons que l’action directe fait vraiment partie de l’ADN du mouvement. Nous bloquons les navires avec nos petits bateaux, nous détruisons le poste de contrôle à l’aéroport, nous organisons des assemblées, nous écrivons des lettres au gouvernement, des appels au goudron, nous organisons des référendums auto-organisés. Il n’y a pas de bon ou de mauvais, de violent ou de non-violent. Nous faisons tout et nous croyons que chaque partie travaille ensemble pour un résultat commun. »
Enfin, le comité a décrit comment la question des grands navires a été intégrée dans la bataille climatique. C’est le mouvement des jeunes qui pousse à maintenir ensemble un objectif de ville et de territoire à la question climatique plus complexe et globale qui touche tant d’aspects et de problèmes de la ville de Venise : les navires ne sont que la partie émergée d’un iceberg qui ne peut être détruit qu’en le frappant dans son ensemble. Tourisme de masse, idée de la ville, climat. C’est ainsi que le comité a réussi à se développer, malgré la répression qui a frappé d’abord pénalement et ensuite économiquement. Il y a seulement deux ans, en effet, des amendes de 40 000 euros ont été infligées. Une somme qui a été récoltée grâce à un crowdfunding qui a démontré l’incroyable solidarité de tous ceux qui soutiennent le comité.
Le discours se termine en soulignant la globalité de la dévastation apportée par les grands navires, et l’importance de l’union entre les luttes locales pour une alliance européenne afin de dénoncer toujours plus fort que les grands navires sont un problème d’un point de vue climatique et territorial, pour Venise et tous les autres territoires traversés par ces monstres flottants.
La parole est ensuite donnée à Plataforma Contra el Megacreuers de Palma de Majorque, qui met en avant les problèmes écologiques liés au passage d’un nombre de touristes extrêmement supérieur au nombre d’habitants. Il poursuit en racontant le travail réalisé par la Plataforma Contra el Megacreuers, qui est née de l’union de plusieurs associations et âmes de la ville. Ce travail s’est concentré sur la volonté de réduire le nombre de navires à un maximum de 3 navires et 8000 personnes. Pas l’objectif espéré, mais une étape dans un chemin qui reste ouvert et qui se poursuit. Le discours se termine en affirmant l’importance d’un réseau européen contre les grands navires, par opposition au secteur du tourisme et des navires qui est déjà fortement lié et uni en son sein.
Puis c’est le tour de Stop Croisières de Marseille, qui raconte l’augmentation du nombre de grands navires dans la ville, une arrivée évidemment liée à des facteurs économiques, qui a amené un grand nombre de touristes et l’augmentation du niveau de pollution. Il s’agit d’un jeune comité qui, au cours des 6 derniers mois, s’est attaché à rassembler des informations, ce qui a ensuite abouti à la publication d’un programme en 10 points (argumentaire) qui traite, entre autres, des questions de la pollution de l’air et de l’eau et de leur lien avec le changement climatique, des conséquences économiques dans la ville, des solutions techniques proposées par l’industrie dans le but de convaincre les citoyens de l’existence de croisières « vertes », et de ce qui peut être fait à Marseille et en Europe. Stop Croiseres aborde également le thème des actions : l’une des plus importantes a certainement été le blocage du Wonder of the Sea, le plus grand navire du monde. Une vingtaine de personnes ont bloqué l’entrée du port de Marseille, empêchant ainsi le grand navire d’accoster pendant plusieurs heures. L’attention médiatique qui en a résulté a été très importante pour le mouvement. Le travail du comité se concentre également sur la recherche d’une contre-narration contre le greenwashing des grands navires et contre les fausses solutions constamment proposées. Une équipe juridique travaille également à l’envoi au gouvernement de lettres de victimes de la pollution atmosphérique dans la région, pour dire que ce qu’ils font n’est pas suffisant, qu’il faut en faire plus. Le discours se termine par ces mots : » Pour nous, les navires sont un problème partout et nous ne voulons pas simplement les envoyer ailleurs. Nous ne voulons pas de navires et nous voulons réduire l’impact du trafic maritime en général. Les navires sont complètement inutiles, nous ne voulons pas faire de compromis sur ce point. «
C’est ensuite le tour de Cittadini per l’Aria, né en 2015 avec un focus sur la pollution atmosphérique des navires. La différence de politiques de limitation de la pollution des navires entre le nord et le sud de l’Europe est soulignée, ainsi que la nécessité de rendre propre l’ensemble du secteur du transport maritime.
We are Here Venice conclut le tour des présentations, en insistant sur l’approche scientifique qu’elle veut apporter à la lutte. « En ce qui concerne les navires, j’ai été impliqué en 2010, quand on allait et venait de Giardini (un quartier de Venise), il y avait des navires juste là. Je suis « obsédé » par la question des navires. Nous avons travaillé dur au cours de ces années pour rassembler le plus d’informations possible. En 2012, la question de Venise était trop axée sur l’emplacement des navires. Aujourd’hui, nous devons comprendre que la vraie question est de savoir ce que l’industrie de la croisière fait à la planète. L’année dernière, nous avons commencé à rassembler toutes les données sur les dommages causés par les navires et à forcer les politiciens à voir le problème une fois qu’il est écrit noir sur blanc. »
L’objectif de l’atelier, qui était la première réunion du Réseau européen des activistes de la croisière qui a été formé lors du Camp climatique de Venise, était d’identifier les points communs pour la création d’une voie collective et pour le début d’une unité de luttes au sein du réseau de l’ECAN.
Parmi les nombreux problèmes liés à l’industrie des croisières, il y a le tourisme de masse, aggravé encore plus par l’arrivée des bateaux de croisière, qui représente une autre forme d’extraction de profits aux dépens des territoires et de la santé des citoyens. La main-d’œuvre, qui dans cette industrie s’avère être purement saisonnière, sans droits et avec des pourcentages élevés de travailleurs non déclarés. La relation entre la crise climatique et les bateaux de croisière a également été fortement soulignée. En effet, les effets de cette industrie sur le climat sont nombreux : la destruction des mers, des océans et des écosystèmes ; la dévastation causée par la construction des navires eux-mêmes, par le transport des matériaux et leur extraction, à laquelle s’ajoute le problème de l’élimination de ces géants des mers.
Le gigantisme des navires de croisière représente parfaitement en métaphore le modèle de développement du capitalisme actuel, qui vise exclusivement la croissance infinie, l’augmentation du PIB, etc. C’est un exemple frappant de la contradiction entre la recherche permanente du profit et l’évidente nécessité, dictée par l’urgence climatique, de réduire la production et la consommation et de rechercher d’autres modes de vie. Les bateaux de croisière ne sont rien d’autre qu’une nouvelle gifle pour ceux qui subissent déjà les conséquences de la crise climatique.
Mais l’objectif d’ECAN n’est pas seulement de trouver des points communs, mais aussi de créer des contre-récits, de mettre en pratique les points trouvés par la recherche afin de faire avancer des actions communes à partir d’un terrain partagé. À tout cela s’ajoute une réflexion sur la question du travail évoquée plus haut : il est indéniable que le secteur des croisières est une ressource pour de nombreuses personnes qui vivent des salaires qui en découlent. La proposition est donc de parler également aux syndicats et aux travailleurs, car il ne peut y avoir de justice climatique sans justice sociale.
La réunion a été un moment important pour le début du voyage de l’ECAN, qui a exprimé sa volonté de continuer à se réunir à nouveau en présence, avec une première étape à Marseille dans 3 mois, et de s’étendre à d’autres ports méditerranéens également, dans la pleine volonté de transformer une contradiction du local au global.