Tout savoir sur l’électrification des quais et le plan « Escales Zéro fumée » de la région

Vue du dessus d'un bateau de croisière qui ressemble à un parc d'attraction
crédit : Wonder-of-the-seas-credit-Royal-Caribbean

Contexte

A Marseille, l’électrification des quais est demandée par les citoyen-nes depuis des années, et le chantier a été repoussé maintes fois.

Le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) et certains pouvoirs publics se saisissent timidement de la question et en profitent pour se donner une image verte en n’hésitant pas à faire de la désinformation… et ainsi pérenniser l’industrie des croisières.

Sous la pression de ces acteurs, la ville de Marseille a déclaré participer à hauteur de 10 M€ au plan « Escales Zéro Fumée » de la région.

Cet article explique pourquoi ce plan tel qu’il est pensé aujourd’hui n’est pas acceptable pour nous.

Nous réaffirmons qu’il est urgent d’agir en électrifiant les quais de la forme 10, des ferries voire du fret et espérons que la mairie pourra orienter ses financements vers ces chantiers prioritaires, mais pas pour les navires de croisières.

Cet article propose d’expliquer notre positionnement à travers un point sur l’électrification : à quoi ça sert ? on en est où ? quelles sont les perspectives ? – avant de présenter les aspects politiques : qui finance ? la région n’essaie-t-elle pas de nous enfumer d’une nouvelle manière ?

Électrification des quais, à quoi ça sert ?

Les navires à quai ont besoin d’électricité pour faire fonctionner leurs équipements (climatisation, chauffage, frigo, éclairage…). La puissance requise pour un gros navire de croisières est de l’ordre de 10 MW ce qui représente 1/100ème de réacteur nucléaire pour seulement un navire.

Cette électricité est actuellement produite par les groupes électrogènes qui tournent au gasoil (à quai seulement) ou au fioul (en mer) et continuent de dégager une fumée noire durant leur temps de stationnement à quai. Ce phénomène est bien connu des habitants des quartiers Nord de Marseille qui voient une suie noire recouvrir leurs extérieurs et constatent des problèmes de santé. A Marseille, selon Atmosud, la pollution de l’air en oxyde d’azote (NOx), précurseur de l’ozone, est imputable pour 40% au trafic maritime dont 20 % sont dus aux croisières [1].

Le raccordement électrique des navires à quai avec une électricité produite sur terre a donc pour but de réduire cette pollution de l’air lorsque les navires sont au port.

A Marseille, à Toulon on en est où ?

A Marseille, l’électrification des quais avance timidement : aujourd’hui 4 postes à quai sont équipés et 6 ferries effectuant les trajets jusqu’à la Corse ont la possibilité d’être raccordés (3 de la Méridionale depuis 2017 et 3 de Corsica Linea depuis 2020).

A Toulon, un chantier est en cours pour proposer des possibilités de raccordement à l’ensemble des quais situés en plein centre-ville pour trois ferries ou deux ferries et un navire de croisière (puissance de 15 MW [2]).

Les perspectives : une électrification qui ne sera jamais complète à Marseille pour les navires de croisières

Le Plan de Protection de l’Atmosphère (PPA) [3] finalisé suite à une enquête publique en février 2022 permet d’avoir les dernières informations sur l’électrification des quais.

Les PPA sont des documents rédigés par l’Etat à l’échelle des départements. Ces plans ont des obligations de résultat sur la qualité de l’air donc :

  • ils ne peuvent pas se contenter de mesures vagues, sans consistance, ni financements ni échéance,
  • s’ils se révèlent insuffisamment ambitieux et efficaces, la responsabilité de l’État est engagée. C’est ainsi que, suite à un recours déposé par des associations, l’État a été condamné en juillet 2020 par le Conseil d’État à une astreinte de 20 millions d’euros par an, renouvelable tous les 6 mois, en raison de l’insuffisance de ces plans. [4].

La mesure n°1 du nouveau PPA 13 concerne l’électrification des quais et vise les objectifs suivants (disponibles dans le document d’évaluation réalisé par Atmosud [5] :

  • ferries pour la Corse : totalité des 800 escales annuelles électrifiées d’ici 2025 ;
  • ferries internationaux : 200 sur les 450 escales annuelles électrifiées d’ici 2025 ;
  • navires de croisière : 200 sur les 500 escales annuelles électrifiées d’ici 2025 ;
  • réparation navale (la « forme 10 » : immense cale sèche de 450 000 m3 d’eau, 3ème plus grande au monde) : objectifs « à définir par le Grand Port Maritime de Marseille (GPMM) ».

Il est donc clair qu’il n’est à ce jour pas prévu d’électrifier l’ensemble des escales du GPMM.

Dans le PPA, c’est le nombre d’escales qui est mentionné plutôt que la consommation d’énergie. Or, un paquebot de croisière de plus de 300 mètres et de plus de 5000 passagers, qui reste quelques jours à quai avec toute sa vie à bord, consomme considérablement plus d’électricité qu’un ferry pour la Corse entre deux chargements de passagers : les 300 escales de croisières qui ne sont pas prises en compte dans ce plan pèsent lourd en termes de pollution de l’air.

Schéma comparant la consommation électrique en cas de branchement à quai de différents types de navires. Les méga croisières sont loin devant allant jusqu'à 15 voire 20MégaW, Les plus consommateurs après sont les navires transportant du pétrole ou de GNL, jusqu'à 9MW. Un ferry transportant des passagers est plutôt sur 3 MW.
Schneider electric

Étant donné les puissances requises, la faisabilité d’électrifier 200 escales (sur 500) des navires de croisière pose déjà question, et les coûts seraient très importants. L’électrification est en effet plus adaptée aux ferries qu’aux navires de croisière, dont les besoins énergétiques sont bien supérieurs. Le GPMM précise d’ailleurs à l’Agence Française de Presse (AFP) que « deux bateaux [de croisière] pourront se brancher en simultané. C’est le maximum qu’on puisse faire en termes de puissance » [6]

Pour le reste, le GPMM mise sur le Gaz Naturel Liquéfié (GNL), énergie fossile qui permet certes de largement limiter la pollution de l’air, mais ne réduit que faiblement les émission de gaz à effet de serre et cause de graves problèmes environnementaux (cf. argumentaire [7]). Cette énergie qui impacte le climat par ses émissions de gaz à effet de serre a d’ailleurs été écartée des mesures visant à « verdir » les ports dans le plan de relance de la France [8]

Aucune solution de branchement à quai ne verra donc le jour pour l’ensemble des bateaux de croisières. Outre cet aspect qualité de l’air, étant donné les impacts lourds de cette industrie sur le climat, la mer, l’aspect social et les maigres retombées économiques engendrées, il ne nous semble pas souhaitable d’engager des fonds publics importants qui pourraient justifier par la suite la pérennisation de cette activité.

Étant donné qu’il y a une limite physique sur la puissance qu’il est possible d’installer, autant rediriger ces investissements d’électrification vers des domaines plus utiles et qui sont demandés de longue date par les riverains : les ferries, le chantier naval, et éventuellement le fret.

Enfin, concernant les autres types de bateaux :

Qui finance ? C’est nous !

Le coût de ces mesures concerne :

  1. les équipements pour la fourniture d’électricité à quai,
  2. l’équipement des navires eux-mêmes,
  3. le coût de l’électricité qui reste supérieur à celui de l’utilisation de gasoil.

1. Équipements pour la fourniture d’électricité

Partout en France, le coût de l’électrification des quais est porté par de l’argent public, ce qui, dans le cas des croisières, semble contraire au principe de « pollueur-payeur » selon lequel les armateurs qui gagnent de l’argent grâce aux croisières devraient prendre en charge les couts engendrés par leur pollution.

Ainsi, le chantier d’électrification des quais à Toulon a couté 20 M€ d’argent public, financés par :

  • Métropole TPM : 7 M€
  • Région Sud : 2,3 M€
  • Département : 3,6 M€  
  • État : 3,1 M€
  • Europe : 4,3 M€

Dans le PPA, il est indiqué qu’à Marseille le raccordement du réseau électrique pour une puissance suffisante à quai est réalisé par ENEDIS et la création de poste/bornes à quai pour connexions des navires est réalisée par le GPMM, qui a voté un budget de 35 M€ pour ce projet (à faire financer par des aides publiques).

2. Équipements des navires

L’électrification des quais ne suffit pas, il faut aussi que les armateurs équipent leurs navires (ce qui n‘est pas encore le cas à Toulon). Le coût par navire est de l’ordre de 1M d’€.

La région PACA intervient là aussi et va plus loin que d’autres régions pour aider les armateurs à équiper leurs navires à travers le dispositif Escales Zéro Fumée [3], [6], faisant encore porter à la collectivité la responsabilité de la pollution de navires privés.

3. Coût de l’électricité

Le PPA indique que « le Grand Port Maritime de Marseille propose un tarif préférentiel de fourniture d’électricité. Cette fourniture fait d’ailleurs l’objet d’une fiscalité favorable (taux réduit de la Taxe Intérieure sur la Consommation Finale d’Électricité TICFE). »

L’État est donc fier de nous annoncer que les navires de croisière, venant nous polluer en ne payant presque pas d’impôts, bénéficieront en plus d’une électricité à tarif préférentiel par rapport aux citoyens, et si cela ne suffisait pas, en plus, d’une fiscalité avantageuse sur celle-ci…

Enfin, pour les navires qui ne pourront pas être électrifiés, la région prévoit de développer une filière de GNL, qu’elle va encore financer avec de l’argent public à hauteur de 40 M€ [9]…

La réponse du lobby des croisières :

Pris à parti par la mairie sur cet aspect, le président du lobby des croisières affirme que « il y a un investissement public qui est une avance, et ensuite il y a une taxe, et chaque passager qui vient à Marseille va donner quelques euros pour pouvoir être connecté à quai. Alors on mettra 20 ans pour rembourser cet investissement, […] avec 2 millions de passagers évidemment sinon ça n’est pas possible, mais, à quelques euros près, le port récupèrera tous ces investissements ». [10].

Qui nous fait penser que :

En effet, l’investissement d’argent public permet de justifier la pérennisation de l’activité, puisque le remboursement n’est possible « qu’avec 2 millions de passagers par an », alors qu’il y en avait en 2019 (pré-Covid) 1,8 millions.

Par ailleurs, la précaution que prend M. Suhas, président du lobby des croisières à Marseille, en précisant « à quelques euros près » nous donnerait envie de vérifier ces calculs :

  • les budgets à investir ont-ils été correctement estimés ? (35M€ cela semble faible au regard des 20 M€ investis à Toulon, port plus modeste),
  • est-ce que l’aide par la région pour l’équipement des navires (mentionnée au point 2.) est prise en compte ?
  • est-ce que les aides sur le coût de l’électricité, et en particulier la fiscalité favorable sur la TICFE (taxe dont il est question ici, mentionnée au point 3.) ont bien été prises en compte ?

Les informations publiques à notre disposition ne nous permettent pas de refaire le calcul, mais nous sommes preneurs des réponses à ces différents points. Dans tous les cas, tabler sur le maintien de l’activité croisières dans les 20 prochaines années avec les enjeux climatiques auxquels nous faisons face pour rembourser ces « investissement » semble un pari très incertain et peu souhaitable.

En conclusion, l’argent public investi pourrait être bien supérieur à ce qui est aujourd’hui affiché et il semble très peu probable que l’activité croisières rembourse un jour cette addition.

Finalement, la région ne serait-elle pas en train de nous enfumer d’une manière nouvelle ?

La région aime communiquer sur son dispositif « Escales zéro fumée », en indiquant (toujours dans le PPA) que « la connexion électrique des navires en escales (croisières et ferries) permet de supprimer 100% des émissions des navires lorsqu’ils sont à quai. »

Cette tournure de phrase est mensongère puisqu’elle laisse croire que l’objectif est de raccorder l’ensemble des navires à quai ce qui, comme présenté plus haut, ne sera pas le cas.

Sans parler du fait que le branchement à quai ne permet pas d’éviter à 100% les fumées, il serait plus juste de parler d’une escale à -80% de fumées puisque :

  • Il reste des émissions lors des manœuvres,
  • Un navire en exploitation a besoin lors de son escale de produire de la vapeur au moyen de sa ou ses chaudières dites « de mouillage » afin de réchauffer son fuel lourd, produire de l’eau chaude pour son usage domestique, pour la climatisation, maintenir en température les moteurs de propulsion pour l’appareillage. Il y a donc TOUJOURS besoin d’utiliser un combustible fossile. Selon les navires une chaudière consomme entre 200 et 500 litres de gazole à l’heure.

Finalement, ces financements pourraient permettre de :

  • Pérenniser l’activité des croisières,
  • Développer la première filière GNL en France, ce qui pose des risque graves sur le climat et l’environnement [11].

En définitive :

Nous réaffirmons qu’il est urgent d’agir en électrifiant les quais de la forme 10, des ferries et du fret. Mais pour les navires de croisières, c’est NON :

  • Investir dans l’électrification des quais croisières, c’est pérenniser la venue des navires les plus polluants. C’est donc l’argent public, notre argent, qui va servir à accueillir à bras ouverts tous les navires de croisières à Marseille.
  • Sans parler des autres nuisances inacceptables quand ils sont en mers, ces derniers sont de loin les plus énergivores et demandent une puissance indécente pour des loisirs non-essentiels.
  • Accueillir ces navires, c’est accepter que l’on alimente une patinoire en plein été, des écrans géants, jacuzzis, laser-games, bars, restaurants, et autres activités qui n’inviteront pas les touristes à descendre. Notre territoire n’a rien à y gagner !
  • À l’heure où la sobriété et la souveraineté énergétique doivent être les priorités pour préserver notre avenir et la paix, il est inacceptable de mettre de l’énergie, quelque soit sa source, pour l’activité des croisières.
  • Pour améliorer la qualité de l’air et protéger nos poumons, priorisons l’électrification des quais pour le chantier de réparation naval, les ferries et les porte-containers mais refusons les navires de croisières à Marseille !

Alors à quand le Plan « Zéro Escale » pour les navires de croisières ? 

Bibliographie :

[1] Intervention de Damien Piga, directeur des relations extérieures et innovation chez AtmoSud sur le plateau de France 3 région https://www.youtube.com/watch?v=0gzILRvpfpI&t=34s

[2] https://www.hubertfalco.fr/visite-du-chantier-de-lelectrification-des-quais-de-notre-port-de-toulon/

[3] https://www.paca.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/ppa_13-actions_170222.pdf

[4] https://www.conseil-etat.fr/actualites/pollution-de-l-air-le-conseil-d-etat-condamne-l-etat-a-payer-10-millions-d-euros

[5] https://www.paca.developpement-durable.gouv.fr/IMG/pdf/4_3evaluation_atmosud_ppa13_190221.pdf

[6] https://www.laprovence.com/article/france-monde/6598492/contre-les-navires-polluants-lelectrification-des-quais-avance-timidement.html

[7] : https://stop-croisieres.org/argumentaire/#greenwashing

[8] https://www.economie.gouv.fr/files/files/directions_services/plan-de-relance/PNRR%20Francais.pdf (page 238)

[9] Plan Climat Aix-Marseille-Provence

[10] https://www.bfmtv.com/marseille/replay-emissions/marseille-politiques/l-estaque-hostilite-envers-les-croisieres_VN-202206230655.html

[11] https://reporterre.net/L-Europe-se-rue-vers-le-gaz-naturel-liquefie-au-mepris-du-climat